En premier lieu, les marchés du Sud subissent le dumping de produits subventionnés par les pays riches. Il en résulte généralement une chute substantielle des prix, particulièrement nuisibles pour les petits producteurs. Ainsi, par exemple, le prix du coton a chuté de 25% (de 0.40 $ le kilo à 0.31 $) au cours des seules deux dernières années seulement, en grande partie à cause des subventions massives versées aux Etats-Unis. Cet effondrement des prix menace gravement les moyens de subsistance des six millions de personnes dépendantes de la production de coton en Afrique.
En second lieu, il est demandé aux pays en développement d’ouvrir leurs marchés à la libéralisation alors que dans de nombreux cas leurs petits producteurs n’ont pas la capacité d’intégrer le marché mondial. Dans ces cas, les producteurs locaux se trouvent mis en danger. Les exportations à très bas prix de poulets congelés de l’Union européenne, du Brésil, de Thaïlande ainsi que d’autres pays, principalement produits par des entreprises multinationales, sont par exemple vendues en Afrique ou en Asie au 1/3 ou au 1/5ème du prix local du poulet. Au Sénégal, 70% des producteurs de poulets ont cessé leur activité depuis al libéralisation du marché en 2000.
L’élimination la falsification des échanges commerciaux résultant des subventions domestiques et à l’exportation et la réduction des barrières douanières, si elles étaient effectivement réalisées, signifieraient seulement la disparition de mesures anti-développement. Cela contribuerait à des règles commerciales plus équitables mais cela ne suffirait pas en soi à une contribuer positive du commerce pour faire progresser le développement et sortir de la pauvreté des millions de personnes.
Un commerce juste pour un développement durable
Le Cycle de Doha pour le développement n’a pas jusqu’à présent atteint son objectif en faveur du développement. Actuellement, les personnes en situation de pauvreté sont mis sans distinction en compétition avec les agriculteurs subventionnés des pays riches. Pourtant elles n’ont pas les mêmes capacités et ne sont pas confrontées aux mêmes conditions économiques. En outre, les pays riches ne respectent eux-mêmes pas toujours les règles communes. Ainsi le principe de non-discrimination de l’OMC ne fait que renforcer les injustices. Les négociations à l’OMC doivent prendre en compte les différences de capacité de production et d’exportation et reconnaître le droit à un traitement différent pour les plus pauvres.
La justice dans le commerce suppose la liberté pour tous les pays de choisir et de concevoir leur propre politique commerciale afin de promouvoir un développement humain durable. Dans certains cas, il faut admettre le rôle positif que peut jouer le marché. Cependant dans de nombreuses autres situations, une perspective de développement en faveur des pauvres nécessite de pouvoir protéger les producteurs vulnérables, les petits paysans et en particulier les femmes qui jouent un rôle prépondérant dans l’approvisionnement des familles en nourriture. Les pays en développement devraient avoir le droit de promouvoir de meilleurs moyens de subsistance, le développement rural et la sécurité alimentaire, par l’intermédiaire de provisions établissant un traitement spécial et différencié (produits spéciaux, mécanismes spéciaux de sauvegarde…) leur accordant non seulement une plus grande flexibilité dans la mise en oeuvre des règles de commerce international mais aussi, quand cela est nécessaire, le droit d’utiliser des barrières tarifaires, la régulation par quotas ou les subventions internes…
Les négociations multilatérales sur le commerce au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce sont souvent décrites par les gouvernements – mais aussi par de nombreuses organisations de la société civile dans un sens différents – comme un processus qui vise à rechercher un équilibre entre des intérêts offensifs (conquête de nouvelles opportunités économiques) et des intérêts défensifs (protection d’intérêts économiques existants). Cette vision des négociations multilatérales sur le commerce repose sur le présupposé implicite que tous les pays peuvent et ont intérêt à maximiser les bénéfices potentiels que le commerce international peut leur apporter. Cette façon de penser nie l’évidence que de nombreux pays en développement ont un potentiel économique relativement faible à développer ou à protéger. Il ne coûte rien aux pays développés d’accorder aux pays les moins avancés un accès à leurs marchés libre en droit et en quotas car les intérêts commerciaux de ces pays sont très limités. Et il convient de souligner que cela n’aide guère les pays les moins avancés d’obtenir de tels accès aux marchés libres de droit et de quotas car cela ne répond pas ni causes réelles de leurs difficultés, ni aux enjeux de leurs besoins.
Un commerce juste pour agir contre la vulnérabilité
des personnes en situation de pauvreté
Une perspective en faveur du développement fondée sur une option préférentielle en faveur des pauvres suppose que les décisions économiques s’appuient sur une pleine prise en considération de leurs effets sur les personnes en situation de pauvreté. Pour les pays pauvres, le défi n’est pas d’accroître leur production, leur productivité ou leur compétitivité et donc l’enjeu n’est pas l’ouverture au libre échange ou la protection des marchés. Le défi est de sortir un minimum de la vulnérabilité et d’assurer la durabilité de leur sécurité alimentaire et de leurs moyens de subsistance. De nombreux pays en développement ne cherchent pas à maximiser leurs bénéfices commerciaux mais plutôt à garantir la durabilité d’un minimum économique.
Si les ministres du commerce veulent réellement parvenir à un accord en faveur du développement, ils doivent changer leurs approches des négociations. La question en jeu doit cesser d’être les intérêts offensifs et défensifs des uns et des autres, l’opposition libéralisation contre protection des marchés. Il faut s’attaquer à l’opposition entre vulnérabilité économique et durabilité. De nombreux pays en développement gagneront peu de l’obtention de nouvelles opportunités de marché car ils n’ont ni les moyens de production, ni les moyens d’échange pour en tirer profit. Pour eux, les enjeux portent sur la stabilité des prix des produits, la garantie des revenus familiaux, l’assurance d’une marge de manoeuvre pour construire une politique de développement adéquate, la durabilité de leur capacité d’offre et de commercialisation.
Contrairement à ce qui est généralement décrit, rien n’est moins sûr que de penser que tous les pays et les régions gagneraient à une libéralisation radicale du commerce agricole. En revanche, il y a un réel danger d’une mauvaise utilisation des estimations fondées sur des modèles théoriques qui suggèrent un tel raisonnement. Ainsi, par exemple, en Thaïlande, la libéralisation du commerce ayant poussé le développement de la production de riz orientée vers l’exportation a eu des effets dévastateurs sur les populations rurales et les petits paysans bien que le pays ait accru son volume global d’exportation ces dernières années. Les revenus familiaux des petits paysans vendant sur le marché local sont trois fois supérieurs à ceux des agriculteurs produisant pour l’exportation. En raison de la fluctuation et du déclin constant des prix, les revenus de nombreux agriculteurs se sont réduits et ils ont été contraints à s’endetter. Cette situation a été particulièrement dommageable pour les petits paysans dont l’insécurité alimentaire n’a cessé de croître.
Des millions de personnes en situation de pauvreté attendent un changement des politiques de commerce international qui leur permette de passer d’une situation de vulnérabilité extrême à des conditions de vie plus durables.
Contribution de Guillaume Légaut, chargé de politique et de plaidoyer, CIDSE.
Pour en savoir plus, consultez le dossier Euforic sur le commerce.