mardi, mai 22, 2007

Une lutte contre le terrorisme qui se ferait au détriment de la société civile est vouée à l’échec

La présence d'une société civile autonome et dynamique est un élément crucial de la démocratie et une garantie essentielle du respect des droits humains et des libertés fondamentales. Toutefois, depuis les attentats terroristes perpétrés contre les États-Unis, l'Espagne et le Royaume-Uni, de nombreux décideurs politiques – y compris au sein des institutions de l'Union européenne (UE) – se sont efforcés de restreindre l'espace réservé à la société civile. Les politiques conçues dans le but de lutter contre le terrorisme et de promouvoir la sécurité le sont souvent de manière inadéquate, au mépris de l'opinion publique, et sont tout simplement contre-productives. Au lieu d'améliorer notre sécurité, elles ont pour effet de restreindre l'action d'acteurs qui ont un rôle fondamental à jouer dans la lutte contre l'aliénation, l'exclusion et la radicalisation qui constituent le terreau du terrorisme. Ce « verrouillage » du système peut être observé au Nord comme au Sud.

En 2001 l'UE a dressé une liste des organisations terroristes, sur le modèle des États-Unis, et a procédé au gel de leurs avoirs. Il est difficile de savoir comment la sélection de ces organisations est effectuée. La manière dont la décision est prise de les retirer de la liste est encore moins claire.

L'UE a en outre déclaré, là encore en s'inspirant directement des Etats-Unis, que les organismes à but non lucratif sont exposés à un risque important de se faire manipuler pour financer des activités terroristes. Ce secteur est ainsi pointé du doigt alors qu'il n'y a aucune preuve substantielle de ce que ce prétendu risque. Pour le contrer, l'UE travaille actuellement à l'élaboration d'un code de conduite destiné aux organismes non lucratifs. Son but est de les protéger des tentatives de manipulation des organisations terroristes. (Des indicateurs avaient été définis dans une première version. Selon ces indicateurs, la Commission européenne [CE] aurait elle-même été considérée comme « à risque » pour ne pas avoir mis à jour son site Internet au cours des douze derniers mois. Quiconque connaît un peu le site Internet d'EuropeAid comprendra ce que je veux dire !) La suite de l'élaboration de ce code sera confiée à un groupe de contact que l'UE a prévu de mettre en place au cours des prochains mois. Il sera composé de 15 membres du secteur des organismes non lucratifs et constituera un espace important dans lequel les ONG pourront s'engager.

Les effets de ces évolutions sur les organisations de la société civile (OSC) sont nombreux et sérieux :
  1. Une culture de suspicion à l'égard du secteur des ONG dans son ensemble est en train d’être créée. Le secteur est de plus en plus souvent présenté comme un élément du problème et non de la solution. Cela est particulièrement dommageable pour ce secteur dont l'activité repose sur la confiance. La perte de confiance entraînera de graves conséquences sur l'efficacité de l'action des ONG ainsi que sur leurs ressources financières.
  2. Les recherches conduites aux États-Unis suggèrent que les mesures antiterroristes ont entraîné une diminution des financements pour le monde en développement, en particulier dans les régions en situation de crise (la Palestine par exemple), les organisations considérant qu’il est trop dangereux de s'y engager. Cela montre que les mesures antiterroristes peuvent être contre-productives dans la mesure où elles nuisent à une action essentielle dans la lutte contre le terrorisme, car les groupes radicaux se nourrissent du désespoir et de la pauvreté.
  3. L'accent mis sur les ONG, en particulier les organisations islamiques, renforce leur sentiment d'aliénation vis-à-vis de l'Europe alors que leur position stratégique devrait être utilisée pour promouvoir la confiance, le sentiment d'appartenance et, ainsi, diminuer le risque de radicalisation.
  4. Les mesures antiterroristes adoptées en Europe et aux États-Unis ont également encouragé d'autres gouvernements, par nature répressifs et totalitaires, à verrouiller davantage encore leur système. Les exemples les plus frappants sont ceux de la Russie, du Soudan, du Pérou et du Zimbabwe, où le terrorisme et une inquiétude générale vis-à-vis des risques de terrorisme ont été utilisés pour restreindre les libertés de la société civile. Les OSC de ces pays font face à un double phénomène préjudiciable. Elles sont contraintes, d'une part, à opérer dans un environnement extrêmement restrictif et souvent dangereux. Elles sont, d'autre part, de plus en plus privées de soutien financier et moral de la part des OSC du Nord, qui craignent de coopérer avec elles.
Les retombées de plus en plus graves des problèmes de sécurité et de terrorisme sur l'aide au développement ne peuvent que susciter l'inquiétude des ONG. Si tout conflit, quel qu'il soit (y compris ceux ayant un rapport avec le terrorisme) est dommageable pour le développement, le principal but de l'aide doit impérativement demeurer le soulagement de la pauvreté structurelle. Les mesures de promotion de la sécurité et les mesures antiterroristes doivent être financées par des budgets supplémentaires. D'autre part, la fourniture de l'aide ne doit pas être conditionnée à l'adoption de mesures antiterroristes par les pays bénéficiaires, comme le prévoient actuellement les « profils de gouvernance » de la Commission européenne.

Les ONG sont la manifestation d’une société ouverte et dynamique. Elles jouent un rôle important à travers leur action auprès des populations. Elles contribuent à empêcher la radicalisation et à créer un lien entre les différentes communautés. Les ONG doivent donc être considérées comme un élément de la solution et traitées en tant que telles. Nous ne pourrons pas, sans cela, évoluer vers le monde démocratique et ouvert à la participation du plus grand nombre que nous prétendons défendre.

Maxi Ussar est consultant pour Cordaid. Pour plus d’informations, veuillez contacter : maxi_ussar@yahoo.co.uk

Source: CONCORD Flash - Avril 2007.

Consultez aussi les dossiers Euforic sur la coopération de l'Europe et sur la société civile

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